La lutte pour le travail de nuit et du dimanche dans le commerce de détail ne constitue pas uniquement une lutte pour la disponibilité des travailleurs et travailleuses. Le commerce de détail connaît aussi un combat de David contre Goliath. En cas de libéralisation totale des horaires d’ouverture des magasins de stations-service, la puissante Union pétrolière serait renforcée dans la concurrence sans merci qu’elle livre au détriment des petits commerces de détail. À long terme, la situation risque de ressembler à celle qui règne en France, où l’on ne peut presque plus aller faire ses courses qu’en voiture et en-dehors des centres-villes.
Depuis 2006, une nouvelle libéralisation des horaires d’ouverture des magasins a été rejetée lors de 90% des votations cantonales. Pour la dernière fois, dans le canton de Lucerne. De toute évidence, la population ne ressent pas le besoin d’avoir des magasins ouverts 24 heures sur 24, et les besoins des clients ne sont que des prétextes. La question se pose de savoir qui a particulièrement intérêt à une nouvelle libéralisation des horaires d’ouverture?
Un moyen de pression exercé par les puissants
Les sempiternelles exigences de libéralisation constituent un moyen de pression des grands, des puissants, dans la concurrence effrénée et sans pitié qu’ils livrent aux petits commerces de détail. Seuls les détaillants ayant de gros moyens peuvent se permettre de faire travailler plus longtemps leur personnel pour le même chiffre d’affaires et de maintenir leur entreprise ouverte 24 heures sur 24. Dans le cas du travail supplémentaire de nuit et du dimanche dans le commerce de détail, il ne s’agit pas d’une question d’utilité économique ou de besoins de la clientèle. En effet, le consommateur qui aura dépensé un franc le dimanche ou la nuit ne le dépensera pas une nouvelle fois pendant la semaine. Il s’agit du partage du gâteau. Les gros détaillants veulent évincer les petits.
Il n’est pas indispensable de pouvoir faire ses achats 24 heures sur 24
L’instigateur qui est derrière la question des horaires d’ouverture 24 heures sur 24 des magasins de stations-service est l’Union pétrolière, qui veut faire croire au peuple et au monde politique qu’il est indispensable de pouvoir faire ses achats 24 heures sur 24 dans les stations-service. Elle admet que l’interdiction de travailler la nuit et le dimanche soit affaiblie dans la Loi sur le travail et que la protection des travailleurs se détériore. Actuellement, la Loi sur le travail règle les dispositions d’exception relatives au travail de nuit et du dimanche pour raison d’« indispensabilité économique et technique ». La nouveauté résiderait dans le fait que ces dispositions d’exception seraient également applicables aux magasins des stations-service. Ainsi, la journée de 24 heures serait introduite pour la première fois sans autorisation particulière dans le commerce de détail. C’est absurde! Il est indispensable que les soins de santé soient assurés 24 heures sur 24 dans les hôpitaux, mais il ne l’est certainement pas que l’on puisse aller acheter une pizza surgelée en voiture à 3 heures du matin.
Il n’y aura pas de création d’emplois
Le nombre de personnes employées n’augmentera pas avec le travail de nuit et du dimanche, mais en règle générale la journée de travail des employés sera plus longue. Le travail de nuit et du dimanche est rarement fondé sur un véritable caractère facultatif, mais il pose plutôt d’importants problèmes aux travailleurs et travailleuses. Plus des deux tiers des personnes occupées dans le commerce de détail sont des femmes, parmi lesquelles des mères élevant seules leur(s) enfant(s). Il est difficile d’organiser la garde des enfants pendant la nuit. La déréglementation dans le commerce de détail détériore encore davantage les conditions de travail et en augmente la pression. En fin de compte, ce seront les travailleurs et travailleuses qui en feront les frais pour que l’Union pétrolière puisse revendiquer pour elle-même une plus grande part du gâteau dans le commerce de détail.
Faire ses courses uniquement en voiture?
Il est nécessaire aussi d’avoir une vue à plus long terme sur les possibilités offertes aux clients de faire leurs courses. Si la pression concurrentielle joue, le petit détaillant aura deux options: soit il adopte lui-même le commerce 24 heures sur 24. Résultat: sa famille est sur le pont 24 heures sur 24 ou il doit employer du personnel en ne pouvant offrir que de bas salaires. Aucune de ces deux solutions n’est saine. Soit il abandonne son magasin et le réseau de petits commerces locaux s’éclaircit, ce qui implique une perte de qualité de vie. Car en fin de compte, cela signifie qu’il devient impossible de faire quotidiennement ses courses autrement que dans de grands centres commerciaux implantés dans les périphéries urbaines. Et ce, bien entendu, uniquement en voiture. Voulons-nous vraiment une telle situation « à la française »?